Agrocarburants : un cocktail qui coûte très cher à la pompe

Le Monde.fr | 25.01.2012 à 16h17 • Mis à jour le 14.06.2012 à 20h59

« L’automobiliste sait-il que le gazole qu’il utilise dans sa voiture contient très certainement du biodiesel, et que pareillement l’essence contient du bioéthanol ? » C’est ainsi que Didier Migaud, premier président de la Cour des comptes, a introduit le rapport (PDF), rendu mardi 24 janvier par cette institution, qui évalue la politique d’aide aux agrocarburants et son coût. Un coût qui est loin d’être négligeable pour les consommateurs, qui auront déboursé 3 milliards d’euros de plus entre 2005 et 2010 pour ce carburant d’origine végétale.

Plus chers, introduits de manière peu transparente dans les stations-services, les agrocarburants sont aussi moins efficaces, explique la Cour. Le bioéthanol permet ainsi de parcourir 68 km contre 100 pour l’essence, et le biodiesel 92 km contre 100 avec du gazole.

 

NICHE FISCALE

L’Etat a également reçu, grâce à cette filière, 330 millions d’euros au titre de la taxe générale sur les activités polluantes. Cette taxe pénalise les distributeurs qui n’auront pas réussi à incorporer, dès 2010, 7 % d’agrocarburants dans l’essence – un seuil irréalisable pour la Cour. Or, selon elle, les industriels ont tout simplement répercuté ce coût à la pompe.   

En parallèle, un deuxième outil fiscal vient encourager la filière biocarburant, en profitant par contre aux producteurs : la diminution de la taxe intérieure de consommation, chiffrée à 2,65 milliards d’euros entre 2005 et 2010 – et dont le manque à gagner pour l’Etat a là aussi été « essentiellement supporté par les consommateurs », selon le rapport. Car la moindre densité énergétique des agrocarburants, en augmentant les volumes achetés, a permis d’engendrer une entrée de taxes supérieure de 1,5 milliard d’euros pour l’Etat. Au final, les producteurs profitent de cet avantage, l’Etat fait une opération relativement neutre, et seul le portefeuille du consommateur est vraiment mis à contribution.

 

LA FRANCE EN POINTE

« Les années 2005-2011 ont vu l’explosion de la production mondiale de biocarburants« , rappelle la Cour des comptes. Leur place reste toutefois encore minoritaire, procurant environ 2,5 % du total des carburants utilisés pour le transport routier. A l’échelle de la France, si le plan de soutien aux agrocarburants pêche au niveau financier, il n’en a pas moins réussi à développer considérablement cette industrie, grâce à des investissements massifs de 1,5 milliard d’euros. L’Hexagone est ainsi devenue le quatrième pays producteur d’agrocarburants. Le gouvernement, qui a lancé en septembre l’Observatoire des biocarburants, n’est pas en reste : « Les biocarburants apporteront la contribution la plus importante » à l’objectif de 10 % d’énergies renouvelables dans les transports d’ici à 2020. Il aurait aussi prévu, selon l’ONG Greenpeace, d’augmenter de 30 % l’utilisation du biodiesel d’ici à 2020.

L’un des objectifs de cette politique volontariste est de réduire la dépendance française au pétrole, puisque ses raffineries ne produisent pas assez de gazole – aujourd’hui largement préféré par les automobilistes du fait d’une politique fiscale avantageuse. « Ce qui nous contraint à en importer d’importantes quantités, de Russie notamment », relève la Cour. Cette ambition d’indépendance énergétique n’a été toutefois couronnée que d’un succès « limité et coûteux ».

Et difficile d’en faire beaucoup plus, notamment à cause de la surface agricole que cette source d’énergie exige. Si la France voulait entièrement substituer ses carburants fossiles par des agrocarburants, l’ensemble de la surface agricole française devrait être mobilisée. Aujourd’hui, les agrocarburants utilisent un peu moins de 6 % de cette surface. Selon un rapport de Greenpeace, le biocarburant vendu dans l’Hexagone est d’ailleurs loin de provenir uniquement du colza ou des betteraves françaises : côté biodiesel, il serait composé de 30 % d’huile de soja en moyenne, mais aussi d’huile de palme, importées d’Amérique du Sud. Or ces cultures contribuent à la déforestation et à une augmentation des émissions de gaz à effet de serre, souligne l’ONG.

 

DES BIOCARBURANTS PAS SI VERTS ?

Ainsi, après avoir bénéficié d’une image plutôt positive sur le plan environnemental, les agrocarburants suscitent aujourd’hui la suspicion. D’une part, leur bilan carbone serait sous-estimé. En septembre, l’Agence européenne de l’environnement récusait une réglementation européenne qui considère les agrocarburants comme des énergies « zéro émission ». En question : l’absence de prise en compte des changements d’affectation des sols, qui entraîne la perte d’écosystèmes captant le CO2.

Ce point rejoint une critique récurrente contre ces biocarburants : la compétition entre les terres agricoles qui leurs sont consacrées et celles dédiées à l’alimentation. C’est d’ailleurs cette question qui pousse les auteurs du rapport à recommander, par précaution, « l’arrêt des subventions soutenant la production de biocarburants ». Cet été, un rapport de la FAO dénonçait ainsi la responsabilité de cette industrie dans la hausse considérable des prix des denrées alimentaires depuis 2008. 40 % du maïs produit aux Etats-Unis et les deux tiers des huiles végétales de l’UE y seraient absorbés, selon la branche alimentaire de l’ONU.

L’Agence européenne de l’environnement explique encore, dans son rapport, que si l’on souhaite recourir à la biomasse pour couvrir 20 à 50 % des besoins énergétiques mondiaux dans les décennies à venir, il faudrait tripler la récolte planétaire. Et rien que pour couvrir les besoins de l’UE, les surfaces cultivées pour les biocarburants sont vouées à augmenter entre 1,73 million d’hectares et 1,87 million d’hectares d’ici à 2020, selon un rapport (PDF) de l’Institut international de recherche sur les politiques alimentaires. Une petite révolution qui ne touchera pas tellement les terres européennes, mais plutôt celles d’Amérique latine, principalement le Brésil, ou encore d’Afrique subsaharienne. Et ce au détriment des pâturages et des forêts, mais aussi de la savane, des prairies et des forêts primaires.

Angela Bolis

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