Des préfectures autorisent la consommation d’eau potable polluée !
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L’eau destinée à la consommation des Français est-elle de bonne qualité ? Pas sûr, estiment France Libertés et 60 millions de consommateurs qui ont lancé, mardi 3 juillet, une « opération transparence » sur l’eau potable en France. Après avoir mené semblable opération sur le prix de l’eau, en 2011, la fondation et le magazine mènent une enquête (0 805 696 279 ou Opération transparence sur la qualité de l’eau) dont les résultats seront publiés en mars 2013, fondée sur la mise en place d’un réseau de « lanceurs d’alerte » dans chaque département.
Convaincus de l’absence de données suffisantes, de la « disparité des contrôles »et d’« informations inquiétantes » publiées sans explication, les deux organismes à l’origine de l’opération veulent aussi dénoncer les dérogations accordées par les préfectures pour des eaux dont les taux limites des paramètres microbiologiques ou physico-chimiques sont dépassés.
A l’appui de leurs soupçons, France Libertés et 60 millions de consommateurs ont réalisé des tests dans une dizaine de départements. « Le résultat est inquiétant, aucun département n’est épargné, explique Emmanuel Poilane, le directeur de France Libertés. Une douzaine de dérogations a été accordée pour des eaux dont les taux de sulfates et de fluor, de nitrates ou de déséthylatrazine [une substance dérivée de l’atrazine, interdite depuis 2003, présente dans les pesticides et dont la dégradation prend des dizaines d’années] ont été dépassés. «
Mais, pour M. Poilane, le problème ne réside pas tant dans ces taux faiblement dépassés que dans l’absence de transparence de l’information. Celle-ci est pourtant disponible sur le site du ministère de la santé où chaque habitant peut trouver les résultats des contrôles effectués pour sa commune. Cette information, pas toujours compréhensible, se montre souvent peu rassurante. Exemple dans le Gers, pour la commune du Houga, où l’eau est jugée « conforme par dérogation aux exigences de qualité en vigueur » et, dans le même temps, déclarée « impropre à la consommation des nourrissons et des femmes enceintes ». Accusé, un taux de nitrate de 63 mg/l, alors que la « limite de qualité » est fixée à 50 mg/l.Autre cas d’école, dans le Val-d’Oise, à Hodent, où « la recherche des triazines a mis en évidence de la déséthylatrazine à une teneur supérieure à la limite de qualité requise ». Mais, précise la fiche du ministère, « cette eau peut être consommée sans restriction »… la préfecture ayant accordé une dérogation.Pour France Libertés et 60 millions de consommateurs, ces dérogations, accordées pour une durée de trois ans et qui peuvent être renouvelées deux fois, soit neuf ans au total, sont problématiques. « Comme on n’est pas capable de mettre aux normes l’eau distribuée, on préfère déroger », s’insurge Emmanuel Poilane.
MOBILISER LES CITOYENS
Pour le ministère, au contraire, ces dérogations incitent les maires à s’engager à prendre des mesures pour maîtriser les pollutions. « C’est un contresens des associations, explique Charles Saout, de la sous-direction des risques liés à l’environnement et à l’alimentation, au ministère de la santé. Ces dérogations sont encadrées par la Commission européenne et elles poussent les autorités locales à engager des travaux sur leur système de distribution. » Ces travaux, souvent longs, expliqueraient la durée minimale de trois ans.Pour M. Saout, qui annonce la publication d’un bilan national de ces dérogations à la fin 2012, l’initiative de la fondation et du magazine de consommateurs est intéressante. « Ce réseau va dans le bon sens, à condition de ne pas semer la confusion dans l’esprit des consommateurs », prévient-il. Les normes européennes intègrent des coefficients de sécurité qui permettent, en cas de dépassement, qu’il n’y ait pas de conséquence pour la santé de la population, avance M. Saout.France Libertés et 60 millions de consommateurs préfèrent, eux, mobiliser les citoyens et proposent un numéro vert (08-05-69-62-79) pour les informer et recueillir leurs alertes.
Rémi Barroux