Le marché carbone sous pression : encore une fausse « bonne idée »…

Le cours de la tonne de CO2 stagne depuis six mois entre 6 et 8 euros. Il faudrait qu’il se maintienne entre 25 et 30 euros pour convaincre les industriels d’investir dans des technologies sobres en carbone.

 

C’est une rentrée sous haute tension qui se profile pour le marché européen du carbone. Fer de lance de la politique climatique de l’Union européenne, le système communautaire d’échange de quotas d’émission (Sceqe) est plus émoussé que jamais, au point de ne plus jouer qu’un rôle marginal dans les réductions d’émissions de gaz à effet de serre des Vingt-Sept.

Le principe en est simple : 11 400 industries se voient attribuer chaque année une enveloppe décroissante de permis de rejet de CO2. Les entreprises qui réduisent davantage leurs émissions peuvent vendre leurs quotas excédentaires à celles qui dépassent leur plafond. Problème : le cours de la tonne de CO2 stagne depuis six mois entre 6 et 8 euros. Il faudrait qu’il se maintienne entre 25 et 30 euros pour convaincre les industriels d’investir dans des technologies sobres en carbone.

Les causes de cet effondrement des cours sont connues : il y a trop de quotas en circulation et pas assez d’émissions de CO2 à compenser. Aux allocations généreuses de permis de polluer se sont ajoutés les effets de la crise économique, qui entraîne depuis 2009 une baisse mécanique des émissions de gaz à effet de serre. Le marché est noyé dans un excédent cumulé de 1,4 milliard de crédits… L’équivalent de presque neuf mois d’allocation de quotas !

La commissaire européenne au climat, Connie Hedegaard, a proposé, cet été, des mesures d’urgence. Mais Mme Hedegaard, consciente d’avancer en terrain miné, semble condamnée à un exercice d’équilibriste consistant à la fois à montrer qu’il y a un pilote dans l’avion et à gagner du temps.

La commissaire propose aux Etats membres de « mettre de côté », au choix, 400 millions, 900 millions ou 1,2 milliard de quotas à partir de 2013, pour les réintroduire sur le marché à partir de 2016. En somme, de réduire l’offre pour soutenir le prix. « Il n’est pas raisonnable de continuer à inonder un marché déjà engorgé », justifie Mme Hedegaard.

Toutes les parties prenantes doivent se prononcer sur cette proposition d’ici au mois d’octobre. Mais le projet a déjà provoqué la colère du secteur industriel, qui se satisfait d’autant mieux de quotas à 7 euros qu’il devra bientôt les acheter. A partir de 2013, les permis de polluer, jusque-là distribués gratuitement, seront en grande partie mis aux enchères.

Certains Etats membres, eux aussi, crient déjà à la manipulation des cours et au trucage des règles du jeu. Le ministre de l’économie allemand, Philip Rösler, a condamné tout « gonflage artificiel des cours » lors d’une visite à Varsovie, le 17 août. Le discours a dû réjouir ses hôtes : la Pologne, à l’instar de la plupart des nouveaux membres de l’Union européenne, rejette tout resserrement de la contrainte carbone.

C’est oublier un peu vite que le Sceqe est, plus qu’un simple marché, l’instrument d’une politique publique. La position de la commissaire au climat apparaît pourtant bien fragile : même ses collègues de l’industrie et de l’énergie lui opposent une vive résistance.

L’opposition est d’autant plus forte que chacun soupçonne cette mesure transitoire de dissimuler des intentions plus radicales. Les analystes estiment qu’il n’y aura, en l’état, pas de déficit en crédits carbone avant 2019. Ne pouvant, politiquement, appeler à un retrait pur et simple des quotas excédentaires, Mme Hedegaard chercherait une solution provisoire en espérant que l’horizon s’éclaircira en 2015.

Pourquoi 2015 ? C’est cette année-là que les négociations internationales sur le climat sont censées aboutir à un accord, conduisant l’Europe à renforcer ses ambitions. Cette année-là aussi que la révision programmée du marché carbone pourrait justifier des mesures plus drastiques. En clair, soit les quotas excédentaires pourraient être supprimés, soit des objectifs de réduction des émissions de CO2 plus contraignants auront été adoptés, ce qui rendra aux crédits toute leur utilité.

En attendant d’éventuelles réformes structurelles, la proposition de MmeHedegaard devra être approuvée par le Parlement européen et le Conseil. Sa mise en œuvre n’interviendra pas avant janvier ou février 2013, juste à temps pour le lancement de la nouvelle phase d’enchères.

Dans l’intervalle, la commissaire au climat devra gagner du temps sur un autre front, celui de l’aviation. Toutes les compagnies aériennes opérant dans l’UE devront, à partir de 2013, compenser une partie de leurs émissions de gaz à effet de serre en achetant des crédits carbone sur le marché.

La Chine, l’Inde, la Russie et les Etats-Unis refusent le paiement de ces droits à polluer. Pékin a évoqué de possibles représailles, dont les commandes d’Airbus pourraient faire les frais. A Washington, un intense lobbying a opposé cet été les représentants de l’industrie et des organisations écologistes autour de la Maison Blanche.

Après avoir longtemps sous-estimé la menace de contentieux, la Commission européenne cherche désormais une porte de sortie. Bruxelles laisse entendre que si l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) s’engageait à mettre en œuvre un système mondial de compensation carbone, le secteur pourrait être exempté de marché européen.

Des émissaires de la Commission ont été dépêchés à l’OACI pour œuvrer en ce sens avant la prochaine assemblée générale de l’organisation, prévue en octobre 2013. Avec un effet pervers : le retrait de l’aviation du Sceqe réduirait la demande de quotas. Affaiblissant à nouveau le prix du CO2

allix@lemonde.fr

Grégoire Allix (Service Planète) : publié le 24 août 2012 à 14:26

 

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