Le prix de l’inégalité : pour un autre capitalisme
Paupérisation massive, minorité captant l’essentiel des richesses : un réquisitoire en règle de Joseph Stiglitz contre le capitalisme d’aujourd’hui.
Quand les valeurs universelles d’équité sont sacrifiées sur l’autel de la cupidité de quelques-uns malgré les assertions rhétoriques clamant le contraire, le sentiment d’injustice se mue en sentiment de trahison. » Le prix Nobel d’économie 2001, Joseph Stiglitz, dans la préface de son nouvel ouvrage dresse un constat sans appel. Son essai rejoint l’une des analyses qu’il avait développées deux ans plus tôt dans « Le Triomphe de la cupidité ». Dénonçant la mondialisation sauvage et les désirs excessifs d’argent des banquiers irresponsables, notamment américains, parmi les racines de la plus grave crise économique et financière de l’après-guerre, Joseph Stiglitz récidive sur ce thème à l’aune des événements de ces deux dernières années. Le mouvement des Indignés, d’Occupy Wall Street, les révoltes des pays arabes, comme en 1848 et 1968, témoignent d’une prise de conscience de l’inégalité de la répartition des richesses. Il aurait pu y ajouter… 1789.
Le slogan des Indignés fustigeant la captation des richesses par les 1 % les plus fortunés dans le système capitaliste est au centre de l’analyse de Joseph Stiglitz. Comme il le dit lui-même, il entend « expliquer […] pourquoi notre système économique ne fonctionne plus pour la grande majorité de la population ; pourquoi l’inégalité s’aggrave à ce point ». Néokeynésien, proche des démocrates de Barack Obama, il souhaite la réélection de l’actuel président qui, à ses yeux, n’a pas assez tenté de réformer les Etats-Unis. L’auteur ne surprendra pas ses détracteurs libéraux adeptes de la toute-puissance des marchés. Non, « les marchés ne fonctionnent pas comme le prétendent leurs partisans ». L’Amérique où environ 24 millions de personnes ne trouvent pas d’emploi en témoigne. Pour le prix Nobel, l’ascenseur social ne fonctionne plus. « L’Amérique n’est plus le pays de l’égalité des chances », clame-t-il.
Les solutions existent. Entre autres, juguler le secteur financier, en particulier les bonus des traders, fermer les paradis fiscaux offshore, mettre fin à l’aide sociale aux entreprises, réformer la justice et la fiscalité, tempérer la mondialisation et rendre le jeu plus égal, notamment en corrigeant les déséquilibres commerciaux. Ou encore rétablir une croissance durable et équitable fondée sur l’investissement public. Autant de solutions avancées qui ressemblent furieusement aux engagements des chefs d’Etat et de gouvernement du G20 réitérés chaque année à l’issue de leur sommet. Sauf qu’elles ne sont guère mises en oeuvre. D’ailleurs, l’auteur dénonce le fait que « nos gouvernements sont globalement sous la coupe des intérêts privés ». La confiance dans la démocratie va donc s’éroder, selon lui. Là est le danger. Le constat est limpide mais les idées de Joseph Stiglitz ne sont pas consensuelles. Loin de là. Aux Etats-Unis, certains hurleront pour le taxer de « socialiste » voire pire. Ne prône-t-il pas l’instauration d’une taxe de 70 % sur les plus fortunés ? François Hollande devrait apprécier.
RICHARD HIAULT
Source : LesEchos.fr